Compte rendu Conférence Festival International de Géographie Octobre 2020 : table ronde inaugurale Climat(s)
Mis à jour le vendredi 19 mars 2021 , par
Table ronde inaugurale Climat(s)
Animée par Catherine Biaggi et Laurent Carroué, inspecteurs généraux
Avec François GEMENNE Professeur géopolitique de l’environnement, Sciences Po, Université libre de Bruxelles (Belgique) Martine TABEAUD et Alexis METZGER, Directeurs scientifiques du FIG 2020 et Stéphane CORDOBES
Questions à François GEMENNE
1. Comment êtes-vous arrivé à vous intéresser à la question de la géopolitique de l’environnement ?
Les enjeux de climat, de pollution … ont été des matières techniques étudiées par des experts de l’environnement. Or ces enjeux au XXIème siècle sont des enjeux politiques traversés par des questions autour des migrations, de l’approvisionnement en matières premières, de la santé.
Les notions de frontière, de puissance, de territoire sont transformées par la question climatique.
Exemple : Le contour des côtes redessiné par la montée des eaux pose une problématique de frontière. Des pays qui perdent le contrôle sur leur territoire à cause d’actions menées plus loin (pollution par les gaz à effet de serre).
Les relations internationales sont donc bouleversées et on tente de comprendre le monde alors qu’il est remis en cause par le climat.
Anthropocène est l’âge des humains. On ne peut donc plus séparer la Terre (étudiée par les sciences naturelles) et le monde (étudié par les sciences sociales).
Donc quand on analyse les relations internationales on essaye de comprendre les relations entre les nations ET les relations entre les nations et la Terre/le vivant.
Il faut redéfinir la Terre comme un sujet politique et non plus comme un objet de politique. La géopolitique de l’environnement est la mieux placée pour faire cela en associant terre et sciences sociales.
2. Qu’est-ce que l’anthropocène ? En quoi est-ce un sujet en débat ?
C’est un débat chez les géologues car on trouve des traces maintenant d’une nouvelle ère géologique caractérisée par l’action de l’Homme qui est devenu la principale force de transformation de notre planète.
On peut y joindre une définition politique. L’Homme pour la première fois est confronté à sa propre disparition, car après cet anthropocène il y a une ère post-humaine.
La question de la durabilité à long terme nécessite un changement d’échelle de temps. L’anthropocène est la rencontre de deux échelles de temps : celle de l’Homme et celle de la Terre. Cela nécessite aussi un changement de relations aux autres : cela met les humains tous à égalités face aux transformations de la planète. Or une minorité des humains inflige des transformations à la planète alors que la majorité est victime de ces transformations. Comme les transformations massives qui affectent la planète sont le fait d’une minorité d’individus, on en vient à se demander si les termes de « capitalocène » ou « d’oliganthropocène » ne seraient pas mieux adaptés pour cibler les responsables.
La définition géologique repose sur ce qui cause la transformation. La définition politique permet de réfléchir aux responsabilités vis-à-vis de ceux qui sont au-delà des frontières. Nous ne parviendrons à résoudre les transformations écologiques de la planète qu’en projetant notre action au-delà de nos frontières, à la fois géographiques et générationnelles.
Ayant maintenant conscience du caractère fini de la Terre et surtout de son espèce, l’homme doit agir en « faisant sa part » même si cette condition nécessaire n’est pas suffisante à l’échelle de l’anthropocène.
Exemple : 30% des émission des GES sont dues à la consommation individuelle
1% = part de la France dans les émissions mondiales
- La réduction est nécessaire mais pas suffisante
- On ne peut pas agir seul mais avec les autres. C’est-à-dire qu’il faut considérer qu’on fait parti de l’humanité. Notre condition première est notre condition de terrien.
3- Jusqu’où peut-on aller dans la didactique de ces questions ?
Mais comme tout concept émergent, la transposition didactique n’est pas simple à imaginer. Il reste difficile de s’emparer du concept d’anthropocène. Il en est de même avec le basculement, dans les programmes de Seconde, de la notion de développement durable à celle de la transition. Il faut montrer le côté systémique de ces enjeux.
La question de l’habitabilité peut être évoquée : où et comment habiter la Terre ? Comment accompagner la redistribution de la population ?
Exemple : Certains anticipent comme Jakarta qui a préféré délocaliser sa capitale à Bornéo pour des raisons de risques de submersion.
Exemple : exode urbain en Europe (alors qu’habitué à l’exode rural)
Exemple : Question des migrations (montée de l’anxiété de la haine)
- Comment organiser ces changements sans trop de tensions politiques ?
4- Quel est le rôle du chercheur dans ces décisions politiques ?
Il faut se projeter. Le système actuel politique et administratif est réactif et non proactif.
- Le seul ministère qui travaille en prospective est celui des armées car le matériel acheté l’est à long terme et l’augmentation de la température peut avoir des effets sur ce matériel (sonar, portance des hélicoptères…). L’armée réalise aussi des changements dans ses missions : terrain humanitaire, accompagnement des déplacements de population… Donc elle a besoin d’anticiper sur l’habitabilité.
- Importance des décisions collectives : idées de former un groupe et de faire ensemble (y compris à l’échelle d’une classe, d’un établissement)
Ex : Référence aux élèves de Sciences Po qui, tout en louant leurs actions éparses (nourriture bio, déplacements doux, vêtements de seconde main…), ne se leurrent pas sur le fait qu’il leur serait plus efficace de quitter cette école qui investit dans des industries à énergies fossiles, notamment françaises (Total, Carrefour…).
Il reste une peur, une sorte d’aliénation à se dire que tout cela nous dépasse, ce n’est qu’une affaire de grosses firmes sur laquelle nous n’avons pas la main.
Les étudiants n’ont pas quitté Sciences Po mais ont fait pression sur le CA de l’école. - Réhabiliter la question du débat et de la controverse. Réhabiliter le fait de changer d’avis quand on a été convaincu.
- Anticiper les changements : c’est-à-dire pouvoir les organiser ensemble pour ne pas les subir.
Questions à Stéphane CORDOBES
Les activités humaines dépendent beaucoup du temps à St Pierre et Miquelon, d’où l’expression : « si le temps le permet ».
Comment rendre concret ce qui se passe sur les territoires ? Il faut le montrer. Il propose une approche sensible par la photographie.
Exemple : Evolution du trait de côte : on constate l’accélération marquée de l’érosion à Miquelon, particulièrement sur les côtes caractérisées par un milieu dunaire. Cela se traduit par un trait de côte qui évolue très rapidement.
Exemple : Isthme de Miquelon Langlade qui pourrait disparaître
Exemple : Menaces directes sur les espaces habités. Les zones classées rouge sur le PPR, il faudra les déménager.
Travail sur la vulnérabilité et l’habitabilité : où va-t-on habiter ? Comment se déplacer ?
Malgré cette réalité très présente, il n’y a pas d’accord chez les acteurs pour agir, mais plutôt un « effet de sidération ».
St Pierre et Miquelon a déjà vécu un effondrement : une crise de l’industrie halieutique majeure à la suite de l’effondrement du stock de morue.
Du point de vue de l’anthropocène, c’est un écocide (c’est-à-dire la disparition d’une espèce à la suite d’une exploitation de la ressources – surpêche). Il a entraîné une crise économique, sociale et culturelle en partie compensée par les aides de l’Etat.
Culturellement il est difficile de changer de trajectoire :
- Le territoire tente de s’adapter en se tournant vers le concombre de mer et la coquille Saint-Jacques dont on ne veut surtout pas connaître l’état des stocks pour pouvoir continuer la pêche.
- Le réchauffement climatique est vu comme une possibilité de profiter de la voie maritime du Nord-Ouest et de créer à St Pierre et Miquelon un port de transbordement.
Ainsi l’île serait moins soumise à la dépendance.
Comment changer les regards ?
Il convient donc, par une approche sensible, de faire changer la manière dont on se projette, montrer les impasses d’un mode d’habiter qui ne fonctionne plus.
Deux blocages dans la culture locale :
- Habiter sur place s’inscrit dans une histoire dure, il est inconcevable de restreindre les libertés des populations (bâtir là où ils le veulent notamment)
- et encore moins la quitter…
Les leviers possibles sont l’attachement au territoire et à sa culture. Pour les plus jeunes qui se résigneront à partir, ils cultivent déjà la nostalgie d’une époque non encore révolue pour eux. Le départ est nécessaire (économie, changement climatique …)
Questions à Martine TABEAUD et Alexis METZGER
Penser, enseigner les climatologies des territoires, est-ce encore nécessaire en 2020 ?
« Géoclimatologie » a été proposé par J-P Vigneau en 2000. La géographie avait été un peu dépossédée de ce champ de recherche par les sciences. Les physiciens de l’atmosphère sont les climatologues.
1- Climat : un mot singulier devenu paradigme dominant.
Tout est climatique. On utilise l’émotion plus que la raison.
Exemple : greenwashing publicitaire
Ce qui est « climatiquement neutre » : ici est entendu qu’il n’y a pas d’émission de CO2… Ce qui ne veut pas dire neutre car : transport, dégradations environnementales (barrages hydroélectriques)
L’image de l’eau pure, des glaciers etc… Mais c’est une neutralité choisie.
Exemple : Affiche pour WWF. Image d’un monde couvert de neige et de glace. « Protégeons le monde pour nos enfants, il n’y en pas d’autres ».
Le monde est représenté ici comme une étendue de glace. Quel climat veut-on préserver ? Veut-on plutôt préserver deux êtres humains ? La fin justifie-t-elle les moyens ?
Les références au climat et non aux climats s’expliquent par la baisse de la part des climatologues chez les géographes et le fait que les cours dédiés dans le Supérieur sont parfois portés par les géomorphologues et les biogéographes sans compter bien sûr le fort poids des climatologues physiciens. Les géographes se retrouvent souvent à l’aval : ils étudient les conséquences économiques et sociales.
La présence du climat dans les programmes scolaires est le fait d’un partage entre histoire et géographie d’une part et sciences de la vie et de la terre d’autre part.
2- Les climats au pluriel : une mise à l’écart problématique
D’abord on oublie souvent que le rythme des saisons est important. Beaucoup de climats n’ont qu’une seule saison. Les humains sont contraints par cette rythmicité.
Le climat n’est pas une moyenne mais une fourchette des possibles. Cette confusion aboutit à des visions trop générales. L’hétérogénéité spatiale est mise de côté, on arrive à des caricatures. Exemple : toutes les îles ne sont pas submersibles.
Autre problème : qu’est-ce qu’un « bon climat » : s’agirait-il du climat tempéré ? Celui comportant le moins d’excès ? C’est un jugement de valeur et une vision du Nord.
La température idéale serait 14,6°C. Mais la mesure territorialisée devient une mesure sans territoire. À force de réduire le climat à un chiffre, tout devient une anomalie (Il y a là un fort biais de notre monde occidental, à l’image de l’utilisation sans fin des chiffres dans la crise du Coronavirus).
Avec les changements climatiques aura-t-on une autre répartition des climats et de leurs li-mites géographiques, ainsi que des mécanismes qui les génèrent et les rythment ? On sait qu’un degré fait déplacer les climats d’environ 100 km vers les pôles et 100 m en altitude.
On peut déplacer le thermomètre : c’est ce qu’a fait Cherbourg qui, lassée d’être associée médiatiquement aux prévisions météo médiocres, a fait migrer sa station de relevés un peu plus à l’abri pour gagner quelques degrés.
On homogénéise les chiffres, puis on en fait des moyennes. Cela n’a plus de sens. La moyenne planétaire (autour de 14,6°C) ne convoque que 7 séries statistiques françaises (sur 25) pour des raisons d’homogénéisation des températures. Pour la prévision, on privilégie les stations où vivent les populations, ce qui explique une très mauvaise répartition des stations sur les continents.
La géographie est finalement gommée au profit du temps. Le virtuel domine le réel et le futur domine le présent. Comme si on était face à un désir de catastrophe.
Bibliographie :
• CORDOBES S. Si le temps le permet, enquête prospective sur les territoires du monde anthropocène, Berger-Levrault, 2020
• GEMENNE F. On a tous un ami noir : Pour en finir avec les polémiques stériles sur les migrations ; Fayard, 2020
• GEMENNE F., ZALASIEWICZ J., RANKOVIC A., LATOUR. B, Atlas de l’anthropocène, Les Presses de Sciences Po, 2019
• GEMENNE F., Géopolitique du climat, A. Colin, 2015
• TABEAUD M., Climatologie générale, A. Colin, 2000
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