Conférence les Zoos humains de Kali’na et Arawak 1882 et 1892

Mis à jour le lundi 9 septembre 2024 , par Denys OLTRA

Le 6 juin 2024, Madame Corinne Toka-Devilliers, descendante de Moliko, une des femmes Kali’na exhibée dans le cadre des « zoos humains et présidente de l’association Moliko Alet + po était présente à l’Université de Guyane pour présenter une conférence sur les Zoos humains de Kali’na et Arawak - « Na’ na Alopo Pau’wa – On nous a emmenés en France ».

Cette conférence initiée par l’inspection d’histoire-géographie de Guyane et dont l’organisation était confiée à nos collègues Carmen Bailly et Pia Toreton portait principalement sur les voyages effectués en 1882 et 1892 par des Kali’na et des Arawak pour être présentés au Jardin d’Acclimatation à Paris.

À partir des recherches menées par l’association Moliko Alet+Po afin de retrouver l’identité des personnes « exposées », elle a abordé la question de la construction mémorielle et est revenue sur les enjeux de reconnaissance d’un épisode trop longtemps oublié de l’histoire guyanaise.

Introduction à la conférence par Pia Toreton, professeure agrégée au lycée Lama-Prévot

Un renouveau historiographique
Les deux dernières décennies ont vu se multiplier les colloques, les expositions et les ouvrages portant sur les exhibitions d’êtres humains en Europe entre la fin du XIXe siècle et le premier tiers du XXe siècle.
En France, nombre de ces travaux sont portés par un collectif d’historiens (le groupe de recherche ACHAC) qui se sont intéressés, entre autres, aux mécanismes de construction des imaginaires coloniaux à travers la création de ce qu’ils nomment des « zoos humains ».
Cette terminologie n’est pas contemporaine du phénomène, puisqu’on parlait plus volontiers d’« expositions ethnographiques », de « spectacles » ou de « villages indigènes », mais c’est celle qui a été popularisée par les nombreux travaux de Pascal Blanchard, de Sandrine Lemaire ou de Nicolas Bancel sur le sujet.
Par « zoos humains », ils désignent des exhibitions scénarisées de peuples non-occidentaux, à l’occasion de foires, de défilés, de reconstitutions de villages dans des jardins d’acclimatation ou dans le cadre des expositions universelles et coloniales.
Parler de « zoos humains » permet de jeter une lumière crue sur l’entreprise de disqualification et de dépersonnalisation de l’Autre, fruit d’un racisme scientifique qui se structure au XIXe siècle avec le développement de l’anthropologie physique.

Quelques jalons sur l’organisation des « zoos humains »
En France, le principe des exhibitions humaines ne naît pas au XIXe siècle et s’inscrit dans une longue tradition que certains historiens font remonter à l’Antiquité. Elles se généralisent cependant à partir de la décennie 1870 et connaissent un immense succès populaire jusqu’aux années 1930, galvanisées par la relance de la colonisation sous la Troisième République et inspirées par une industrie du spectacle en plein essor.
On estime que, durant cette période, ces exhibitions diverses attirent plus d’un milliard de visiteurs. [A titre d’exemple, les deux « spectacles ethnologiques » organisés en 1877 au Jardin d’acclimatation de Paris, qui présentent des « Nubiens » et des « Esquimaux » aux côtés des animaux exotiques, attirent un million de visiteurs, soit deux fois plus que la fréquentation annuelle du Jardin].
Qui sont les individus qui en ont été les victimes ? Des hommes, des femmes, des enfants, déportés des quatre coins du monde par des réseaux de rabatteurs et souvent liés par des contrats à des entrepreneurs du spectacle. Enfermés dans des cages ou des enclos, ils sont parfois présentés comme des cannibales, toujours comme des populations inférieures, contraints de vivre dans des villages reconstitués, très peu vêtus, même en hiver. Ils sont nombreux à succomber aux mauvais traitements, au climat rigoureux et aux maladies. Et même après leur mort, l’entreprise de déshumanisation se poursuit avec l’étude de tout ou partie de leur corps par les ethnologues.

La conférencière et son sujet
Cette question du corps est justement centrale pour la personne à laquelle nous donnons la parole ce soir. Mme Corinne Toka-Devilliers est l’une des descendantes de Moliko, une femme Kali’na qui fait partie d’un groupe de 32 personnes exhibées au Jardin d’acclimatation de Paris en 1892.
C’est après avoir visionné le reportage d’Arte, Sauvage. Au coeur des zoos humains (réalisé par Pascal Blanchard et Bruno Victor-Pujebet en 2018) qui présente entre autres le parcours de Moliko, que Madame Toka-Devilliers, qui est installée en Bretagne, se lance dans des recherches. En 2021, elle fonde une association, Moliko Alet+po (« Les descendants de Moliko ») et élargit ses recherches aux 47 personnes exhibées en 1882 et 1892, menant conjointement un travail d’identification en partenariat avec le Musée du Quai Branly et de dialogue avec les autorités pour la restitution des restes humains des huit Kali’nas décédés à Paris.

Sources :
Pascal BLANCHARD, Nicolas BANCEL, Sandrine LEMAIRE, « Ces zoos humains de la République coloniale », Le Monde diplomatique, août 2000
Claude BLANCKAERT, « Spectacles ethniques et culture de masse au temps des colonies », Revue d’Histoire des Sciences humaines, n°7, 2002
Nathalie GUIBERT, « En Guyane, la quête des descendants des victimes des zoos humains parisiens », Le Monde, 7 août 2023
William H. SCHNEIDER, « Les expositions ethnographiques du Jardin zoologique d’acclimatation », dans Zoos humains, au temps des exhibitions humaines, éd. La Découverte, 2004
Le site du groupe de recherche ACHAC => point sur les différentes expositions sur les zoos humains qui tournent depuis une quinzaine d’années.

Sauvages, au cœur des zoos humains, Documentaire ARTE, 2018

Pendant plus d’un siècle, 35 000 personnes ont été arrachées à leur terre natale lointaine. Présentées comme des monstres de foire, voire comme des cannibales, elles ont été exhibées dans de véritables zoos humains, lors des grandes expositions universelles et coloniales.

L’histoire de Moliko est abordée de la minute 32 :11 à la minute 41 :08

Musée des cultures guyanaises

78, rue Madame Payé
97300 Cayenne
Tél. (594) 0594 31 41 72

54, rue Madame Payé
97300 Cayenne
Tél. (594) 0594 28 27 69

Courriel mcg87@wanadoo.fr

Une exposition mobile est disponible

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